Antonio de la Fuente est né le 4 septembre 1929, à Puigcerda, en Cerdagne espagnole. Son père a été appelé comme officier dès le début de la guerre d’Espagne. En janvier 1939, alors que les troupes franquistes se rapprochent de Barcelone, il écrit à la mère d’Antonio : "Préparez-vous à partir en France". La famille quitte Puigcerda pour Latour-de-Carol en train et prend les chemins de l’exil. Antonio et sa famille passeront successivement par les camps de Saint-Cyprien, Argeles, Bram pour être transférés en juillet 194 au camp de Rivesaltes.

Transcription du témoignage

Nous arrivons à Rivesaltes. On nous met dans un îlot, qui s’appelait, le premier îlot, l’îlot K, qui n’existe plus. L’îlot K, P et O, se trouvaient là où il y a la zone d’activités. Et justement ils n’étaient pas loin du raccordement de la ligne de chemin de fer qui entrait dans le camp avec la ligne de Narbonne à Perpignan, qui allait sur Rivesaltes. Nous sommes restés dans cet îlot quelques temps. On nous a changés de nouveau de baraque, etc. et puis nouveau, nouveau déplacement. Là, nous nous sommes trouvés à l’îlot K. Quand nous sommes arrivés à l’îlot K qui se trouve entre le J et le F, nous avons trouvé quelques familles, femmes et enfants Juifs Allemands. 
Le seul point d’attache qui pouvait se créer entre ces enfants et nous-mêmes, c’était dans la fameuse baraque du Secours suisse où nous allions chercher un petit goûter quand c’était notre tour, où nous faisions, surtout à l’époque des fêtes de fin d’année, quand c’était possible. On se réunissait, on chantait. On chantait, chacun ses chants de son pays. Nous nous avions, euh, peut-être un nombre de chants importants, parce que c’était différentes régions de France. Chacun interprétait les siens et tous ensemble. Et là, on était en contact avec les enfants juifs.
Dans les autres camps, nous étions, nous couchions directement par terre sur la paille. Mais à Rivesaltes, il y avait ce qu’on appelle des châlits, en bois. C’était un cadre en bois, avec quatre pieds pour s’isoler un peu du sol, et quelques planches en travers. Et là, on avait des paillasses. C’était de la paille, qu’on nous changeait… on nous donnait de la paille de temps en temps pour la changer. Mais là, on était aligné de chaque côté et pour passer, pour se rendre, pour pouvoir se coucher, on marchait comme ça, sur le côté, on pouvait pas marcher de front. Qu’est-ce qu’il y avait ? Y’avait un espace comme ça… 
Le plus mauvais souvenir à Rivesaltes, comme dans d’autres camps, mais à Rivesaltes, peut être ça a été plus, plus profond, parce que déjà, mon frère, mon père, n’étaient pas avec nous. Mon père a vécu malade longtemps. Il a été au point à, au point à mourir à plusieurs reprises. Et, c’était surtout la période où nous étions sans nouvelles de nos parents, de notre famille, pas que mes parents directs, les autres aussi ! Mais surtout le mauvais temps, le froid, la peur. Moi je dis que dans le camp nous avons eu peur, nous avons eu froid et nous avons eu faim. Voilà les trois choses principales qui comptaient. Voilà : le, le, le froid, la faim et la peur. Parce qu’on savait pas ce que nous allions devenir. C’était impossible, nous n’avions aucun contact avec l’extérieur. Aucune information. Nous savions que c’était la guerre. Que les gens souffraient aussi, dans, dans les coins d’Europe. Mais ça s’arrêtait là.